Connaître de l’Autre, Soi-même. Dr Adrian CHABOCHE

Revue Hypnose et Thérapies Brèves 58
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« La conscience générale de soi est l’affirmative connaissance de soi-même dans l’autre moi. » Friedrich HEGEL

Chères lectrices, chers lecteurs, Marie rencontre à l’aube de ses soixante ans un passage de vie compliqué. Elle a mené de front une activité riche en projets et en réalisations. Des épreuves aussi, comme la vie ne se prive pas de nous en offrir parsemant notre chemin de certains apprentissages. D’ailleurs Marie s’est toujours fiée à sa combativité face à ces obstacles. Mener une vie de femme, de dirigeante, de mère, tambour battant une vie durant.

Et puis un jour, rien d’exceptionnel. Vraiment rien. Nous aurions pu attendre la belle histoire d’une fin triste avec maladie ou que sais-je une cassure, comme une histoire de film tragique. Mais non, en fait, Marie va vraiment bien. Elle va transmettre sa société, certes non sans appréhension, mais avec un sentiment de libération et d’être allée au bout de ce qui était nécessaire pour se réaliser. Elle est encore jeune, en très bonne santé. Oui, un peu épuisée. On ne flirte pas avec le burnout sans que quelques flammèches ne viennent brunir l’esprit et le corps. C’est à ce moment qu’elle vient me rencontrer et que nous commençons notre chemin thérapeutique.

Mais surtout, devant elle, une porte s’ouvre vers un espace qu’elle ne connaissait pas encore. Un peu de ceux dont on passe une partie de notre vie à rêver, et l’autre partie à se demander où aller en étant au seuil de la liberté. Pas de contrainte, pas d’obligation, pas de compte à rendre. Des champs des possibles. Et là, sensiblement, un vertige s’empare d’elle. Là où le chemin tout tracé s’arrête, le nôtre, celui de l’inconnu commence.

Après quelques séances espacées, elle chemine et je l’accompagne tantôt lui emboîtant le pas, tantôt ouvrant la voie. Nous sommes à discuter de ce qui fait son présent et son futur. Chose importante : pas de son passé lointain, un peu des événements des quelques dernières années. Mais « vraiment je ne sais pas quoi faire. Qu’est-ce que je vais faire ?J’hésite, où m’installer, quoi faire ? Je me verrais où en France, à faire quoi ? - Je vous propose d’aller nous installer en étant déjà arrivés à cet endroit. Vous pouvez fermer les yeux, et laisser vos ressources nous guider et indiquer à notre conscience ce qu’il y a autour de nous... »

La laissant s’imprégner, s’absorber, en bon accompagnant, je la suis dans l’expérience et je fais de même. C’est ce qui va justement retenir notre attention pour comprendre ce que Hegel dans cette phrase déroutante nous laisse entrevoir de l’idée d’un miroir. Je m’installe moi-même dans mon fauteuil, la laissant fermer les yeux, je me plonge à ne faire rien. Le vide s’installe à mesure que mes yeux se perdent dans la brume de ce qu’il y a devant moi. Rappelez-vous, il y a quelques rubriques, nous avions ensemble posé la question « qui hypnotise qui ? ». Est-ce le praticien qui hypnotise son patient ou bien l’inverse ? Je m’absorbe à son histoire, son paysage plutôt afin de stimuler mes sens. Pour s’éloigner de l’intellect, je l’invite à un voyage sensoriel, à quitter ce que nous sommes en train de dire, à s’éloigner de nos questionnements, à rejoindre ce que nous pouvons ressentir, éprouver.

« Maintenant que vos yeux sont fermés, alors le regard peut voir autrement, autre part. Vos oreilles silencieuses entendent. Votre corps immobile peut sentir, comme si les mains se posaient sur un objet, une texture... Entendez-vous autour des personnes ? Ou bien est-ce la sensation de l’air sur la peau ? Où sommes-nous maintenant ? - J’entends des personnes autour de moi, intéressantes, curieuses. Des rencontres. Un lieu où il y a un climat d’échange. »

Je la laisse revenir, tout en continuant moi-même de m’imprégner. J’essaie d’imaginer, pleinement par empathie, ou en tout cas autant que je me laisse aller à rien. Comme pour faire un appel d’air. Et je lui dis : « Alors ça me donne l’impression... soit le Maroc... ou bien le Pays basque. » C’est ce qui me vient. A partir des sensations de ce temps d’introspection, hypnotique, j’essaie de mettre des mots sur ces impressions. Le Maroc et le Pays basque me viennent comme si on faisait une sorte de libre association, mais pas entre deux mots cette fois : entre une perception sensorielle et une représentation consciente.

Elle me regarde les yeux ronds, ne disant rien. Je lui demande si cela entre en résonance avec quelque chose pour elle, si cela évoque une idée ? « Eh bien oui ! Le Maroc c’est là où j’ai vécu en étant petite, où je suis née. Le Pays basque c’est là où je suis arrivée quand on a quitté le Maroc ! » Comment aurais-pu savoir ? Je ne connais pas l’histoire de ses premières années, ce n’est pas un sujet que nous avons exploré. Je n’en avais pas connaissance. Merveilleuse et enivrante sensation que de se dire que je l’aurais deviné ? On se laisserait supposer que le praticien accède à des informations inconnues, si fugaces et évanescentes soient-elles ? A moins que... le doute m’envahit ! Une simple coïncidence ? Un hasard heureux ? Se leurrer du fantasme que l’hypnose aurait ce pouvoir ?

Et pourtant, nous pouvons tous l’attester dans notre pratique, nous sommes face à un fait clinique : nous constatons, parfois, pas tout le temps, mais suffisamment, qu’il peut venir au praticien des perceptions fines, précises, et conscientes. Elles ne sont pas une forme de devinette, ou de vague impression. Nous parlons bien de celles qui ont la précision telles qu’elles s’imposent à notre conscience, comme un fait établi. Et le retour immédiat du patient confirme cette perception. C’est ce que François Roustang a exploré à partir du Magnétisme animal que Hegel a publié en 1817 : « Bien des guérisons advenues autrefois, que l’on considérait comme des miracles, doivent être envisagées pour rien d’autre que pour des effets du magnétisme animal » (p. 187). ...


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