Fibromyalgie: hypnose en toute simplexité

Revue Hypnose et Thérapies Brèves 63
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Face à la complexité, aux situations compliquées vécues par certaines personnes, osons la simplexité. L’attention pleine et entière au patient. Et pour cela, inspirons-nous du fonctionnement des neurones miroirs...

A partir de la simplicité et de l’attention lors d’une anamnèse contextualisant un moment symptomatique, c’est-à-dire grâce à un « pacing » pur, il est possible de condenser la complexité allant jusqu’à celle de plusieurs pathologies intriquées ou des troubles physiques médicalement inexpliqués.

Cette hypothèse (im)pertinente est d’une extrême utilité pour démêler des situations compliquées et permet d’apprendre et d’enseigner le courage utile pour aimer le symptôme afin d’en prendre soin.

Le terme de « simplexité » revient à Alain Berthoz, professeur honoraire en neurophysiologie au Collège de France et membre de l’Académie des sciences. Pour survivre dans un monde d’une prodigieuse complexité, le cerveau applique naturellement des stratégies visant à simplifier la perception, le mouvement, la décision et les sentiments. La notion de simplexité résume une remarquable nécessité biologique apparue au cours de l’évolution pour permettre la survie des animaux et de l’homme sur notre planète : malgré la complexité des processus naturels, le cerveau doit trouver des solutions, qui relèvent de principes simplificateurs, en tenant compte de l’expérience passée et en anticipant l’avenir. Elles facilitent aussi la compréhension des intentions d’autrui. En complément des « théories de la complexité » qui font foison, il faut construire une « théorie de la simplexité ». Elle peut s’inspirer de propriétés fondamentales du vivant en prenant l’exemple des neurones miroirs.

Le cerveau est une machine biologique qui simule la réalité grâce à des représentations mentales de celle-ci, tout comme nous avons le rêve qui simule le monde. Nous apprenons en formant des images, disait Erickson. Donc, en parallèle avec le fonctionnement sensorimoteur, au cours de l’évolution se sont développés des mécanismes de simulation mentale du mouvement. Des neurones « prémoteurs », les neurones miroirs codent l’action, qu’elle soit produite par le sujet ou par autrui. Lorsque l’on exécute un geste ou que l’on observe un geste, des neurones du cerveau sont activés. Les mêmes structures cérébrales sont impliquées dans l’observation et dans l’exécution d’une action. Quel beau principe « simplexe » qui nous permet de comprendre l’action d’autrui !

L’activation du « système miroir », qui a cette capacité de « résonance », est d’autant plus grande que nous sommes attentifs à l’autre et que nous sommes familiers avec l’action ou que nous l’avons pratiquée. Un joueur de football ou un sportif qui est familier avec le jeu qu’il voit à la télévision, ou sur le stade, aura l’impression qu’il joue lui-même, ou fait le geste, beaucoup plus qu’un amateur. L’imagerie motrice n’est donc pas abstraite, mais incarnée dans les mécanismes de l’exécution. Le thérapeute entraîné à vouer toute son attention au patient, sans devoir penser, sera bien plus simplement en résonance avec son patient.

La notion de simplexité est étroitement liée à celle d’attention qui, à son plus haut degré, est la même chose que la prière (Simone Weil, OE, VI-2, p. 297). L’attention consiste à suspendre sa pensée, à la laisser disponible, vide et pénétrable à l’objet, à maintenir en soi-même à proximité de la pensée, mais à un niveau inférieur et sans contact avec elle, les diverses connaissances acquises qu’on est forcé d’utiliser. Dans la prière, la pensée est orientée vers ce qu’on sent plutôt que vers ce qu’on sait. Pour le thérapeute, il ne s’agit pas de guérir et même pas d’abord de soigner. Sa première tâche est l’attention, sa deuxième tâche, d’aider le patient à se soigner (ou à se laisser soigner). Ce n’est pas le thérapeute qui guérit, c’est la nature, c’est Dieu, c’est ce qui comprend le patient.
- « Je le pansai, Dieu le guérit », disait Ambroise Paré.
- « L’art de la médecine, c’est de distraire le patient pendant que sa nature le guérit », selon Voltaire.
- « La maladie est un effort que fait la nature pour guérir », affirmait Carl Gustav Jung. D’autre part, ce qui touche la personne, c’est ce qui est incarné. Tout symptôme, toute émotion sont incarnés, ressentis dans le corps et par le corps via les sens. Il est donc impossible de soigner sans une centration sur le corps, quitte à laisser la pensée en retrait. Il y a une opposition néfaste entre l’évidence de ce que l’on ressent et nos vérités intellectuelles qui tendent à compliquer le problème. Ce ne sont pas les événements, les faits, mais l’expérience subjective qui nous rend vivants. La vie est créée par des événements, mais ceux-ci ne peuvent se transformer en expériences que si nous savons les interpréter, lorsque nous cherchons à les comprendre (Olga Tokarczuk). Et pour comprendre, pour intégrer le symptôme, il est important d’apprendre à l’accueillir avec tendresse, variante la plus humble de l’amour qui n’apparaît que quand nous tournons un regard attentif et concentré vers l’existence de l’Autre. La tendresse est spontanée, désintéressée (il ne s’agit pas de réussir un traitement), elle va beaucoup plus loin que l’empathie compassionnelle (ibid.). Nous touchons ici à la dimension narrative du symptôme avec cette tendresse qui perçoit les liens entre nous, nos ressemblances et nos similitudes. Avec l’attention qui lui est propre, elle est le principe actif d’un regard grâce auquel le monde apparaît vivant, vibrant de ses liens internes, de ses échanges et de ses interdépendances (ibid.).

VIGNETTE CLINIQUE : FIBROMYALGIE
Il s’agit d’une femme de 52 ans qui m’est adressée par son médecin de famille pour traitement par hypnose de fibromyalgies avec attaques de panique. Elle nous dit notamment n’avoir jamais eu l’impression d’être acceptée comme fille par ses parents. On lui a diagnostiqué un SSPT après un accident de circulation dont elle n’est pas responsable. Ce diagnostic a été posé mais sans expliquer ce dont il s’agissait. Elle a l’impression qu’on ne reconnaît pas ses souffrances, en dehors des douleurs musculosquelettiques. Pour ne pas faire de crise de panique, elle se « sur-occupe ». Elle est donc agitée en permanence.
- La première consultation lui permet d’apprendre à rester 5 minutes avec ellemême, c’est-à-dire avec ses propres sensations spontanées sans avoir (trop) peur. Par une expérience 3-2-1 inspirée de Betty Erickson, elle peut utiliser ses sens pour se sentir en relative sécurité et percevoir ainsi un champ relationnel qui grandit, qui s’étend à l’espace de la consultation et qu’elle peut retrouver dans d’autres endroits par la suite.

- Lors de la seconde consultation, alors qu’elle est déjà un peu soulagée, je lui demande de se rappeler un des derniers accès de panique en veillant à m’exprimer au présent de l’indicatif pour chaque question, pour chaque répétition :
- Thérapeute :
« C’est quel jour de la semaine ?... Et quelle date ?... A quelle heure ?... Où cela se passe-t-il ?
- Patiente :
Dans ma cuisine.
- Th. :
Vous êtes dans votre cuisine et que faites-vous, quelle est votre attitude ?
- P. :
Je regarde une voiture qui passe devant la fenêtre.
- Th. :
Vous êtes debout ?
- P. :
Oui.
- Th. :
Vous portez quel genre d’habits ?
- P. :
Je suis en jogging.

- Th. : De quelle couleur ?
- P. :
Bleu clair.
- Th. :
Vous entendez la voiture que vous voyez passer ?
- P. :
Oui, à peine, la fenêtre est fermée. Elle commence à hyperventiler légèrement...
- Th. :
Et vous respirez plus fort… Il y a quelqu’un d’autre dans la cuisine ?
- P. :
Non, je suis seule.
- Th. :
Et où dans votre corps sentezvous le plus le malaise ?
- P. :
Dans la gorge.
- Th. :
Et vous pouvez avoir l’impression de manquer d’air... Quelle forme a ce malaise ?
- P. :
Une boule.
- Th. :
Chaude ou froide ?
- P. :
Chaude...
- Th. :
Voulez-vous me donner la main ? Elle me tend la main droite d’un mouvement lent...
- Th. :
Et pendant que vous contrôlez la position de cette main en mettant de la force dans le coude, vous pouvez vous demander si la boule va changer d’abord ou si la main va commencer à se rafraîchir légèrement ?
- P. :
...
- Th. :
Je vous laisse contrôler la position d’abord fixée de cette main que je vais lâcher et qui peut continuer à se rafraîchir légèrement. Remarquez aussi comment vous laissez la boule changer quand elle prend sa place.
- P. :
...



Dr Laurent SCHALLER Médecin généraliste, spécialiste de rien ni de personne, sauf peut-être du lien qui relie... en particulier grâce à l’hypnose pratiquée depuis 1989 qui lui permet d’être lui-même son outil thérapeutique principal. Exerce à Moutier (Münster = monastère) et sort du cloître pour enseigner et superviser à l’IRHyS (Institut romand d’Hypnose suisse) et à la Permanence Flon, Policlinique médicale universitaire (Unisanté) à Lausanne.


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N°63 : Novembre, Décembre 2021, Janvier 2022

Illustrations © Eishin Yoza

- Edito : Humaniser le lien - Julien Betbèze, rédacteur en chef

- Wilfrid Martineau nous apprend à surfer sur les métaphores, grâce à des exemples concrets de questionnement s’inscrivant dans l’imaginaire partagé. En s’attachant aux métaphores des patients, le thérapeute renforce le lien et active le changement.

- Marie Caiazzo nous indique comment les images d’une personne courageuse et forte peuvent remettre le corps en mouvement ; elle illustre cela avec le cas d’Annabelle, kiné victime d’inceste qui ne parvenait plus à toucher ses patients.

- Bertrand Jacques met en évidence les effets délétères des normes de performance dans la vie affective et sexuelle. A travers plusieurs exemples, il nous montre comment se déprendre du pouvoir des injonctions normatives intériorisées. Reconnecter les sujets à des relations sécures va ouvrir la voie à une expérience émotionnelle corrective, dans laquelle le sujet va se réapproprier sa subjectivité qui passe par l’acceptation de la peur et l’accueil des tremblements.

- Gérard Ostermann présente dans son édito deux articles sur l’utilisation de l’hypnose, en neurochirurgie éveillée (Séverine Gras) et sur la fibromyalgie (Laurent Schaller).

- Le dossier thématique «Humaniser le lien» reprend un échange de Julien Betbèze avec Eric Bardot autour de la dépression.

L’article souligne l’importance de la constitution de la relation pour accéder à la subjectivité. Cela passe par une attention à l’accordage et au partage affectif afin de diminuer l’effet des angoisses de mort liées au monde abandonnique.

- Le texte de Véronique Cohier-Rahban s’intéresse aux fantômes transgénérationnels chez les enfants atteints de troubles oppositionnels avec provocation (TOP) et de troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). L’auteure décrit comment, à travers l’histoire d’une famille, son intervention thérapeutique a permis l’accès à une tristesse partagée, condition de l’installation d’un lien rendant à chacun un espace d’expression.

- Adrian Chaboche : Aussi simple qu’un verre d’eau. Voir le patient comme une œuvre d’art favorise notre empathie et fait émerger le geste thérapeutique qui devient simple, présent.

- L’importance du lien est illustrée comme toujours avec humour par Stefano Colombo et Muhuc.

- Gérard Fitoussi interroge Jean-Jacques Wittezaele qui a introduit l’approche de Palo Alto dans l’Europe francophone. Il décrit son parcours autour de l’importance de la relation et son intérêt pour la culture chinoise qui donne une place prépondérante à la relation dans la construction du sens.

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