Acouphènes: qu’ils arrêtent de nous casser les oreilles!
Même dans le silence le plus total, Julie, Franck et Antoine entendent des bruits: sifflements, bourdonnements, tintements, bruits de train ou de machines diverses qu’ils sont seuls à percevoir et qui sont sans rapport avec leur environnement auditif. Ils sont victimes d’acouphènes
Ce phénomène qui survient à tout âge n’a rien de commun avec les hallucinations auditives (”les voix”). Il s’en distingue par le contenu rudimentaire des bruits entendus (dépourvus de sens) et par le fait que l’on est conscient de leur origine interne. En France, environ 6 millions de personnes seraient touchées dont 150000 sévèrement affectées car leur présence permanente perturbe le sommeil, le travail et tous les actes de la vie quotidienne.
D’après une enquête du Coast Community College District of California (États-Unis), 24% des acouphènes trouvent leur origine dans une exposition à des bruits excessifs, 43% sont de cause inconnue. D’autres sources ont été identifiées: les problèmes circulatoires, l’hypertension, des déséquilibres faciaux relevant du dentiste ou du stomatologue (qui traite des maladies de la bouche et des dents) (Néanmoins, précisons que les mal-occlusions dentaires sont une cause extrêmement rare d’acouphènes. Et de nombreux acouphéniques convaincus de ce diagnostic ont dépensé des fortunes pour réparer les erreurs du dentiste ou du stomatologue… sans résultat.), des causes métaboliques (diabète, cholestérol), médicamenteuses ou toxiques, enfin des problèmes cervicaux (arthrose, contractures de la région cervicale).
Des filtres détraqués
Les acouphènes sont provoqués par un dysfonctionnement de la transmission des sons au cerveau. Cette compréhension des mécanismes acouphéniques est due au Pr Jastreboff (années 1980). Les cellules nerveuses (auditives et autres) émettent en permanence des signaux de toutes sortes. En temps normal, ceux-ci ne donnent pas de perception consciente car nous disposons d’un certain nombre de filtres qui effectuent un tri… et classent sans suite une grande partie des signaux émis (mécanisme d’habituation). Lorsque l’un ou plusieurs de ces filtres sont abîmés, des signaux non pertinents s’acheminent jusqu’au cortex cérébral et donnent naissance à une perception. Dans le cas des acouphènes, le phénomène s’aggrave sur les personnes qui focalisent leur attention sur ces perceptions insolites et n’entendent plus qu’elles jusqu’à l’obsession. L’acouphénique, (nom donné à la victime d’acouphènes), se retrouve comme une mouche dans un bocal.
On distingue les crises d’acouphènes aiguës qui se manifestent la plupart du temps à la suite d’un traumatisme sonore (concert, explosion…), psychologique (rupture familiale, choc émotionnel…) ou consécutivement à la prise de médicaments toxiques pour l’oreille. La seule façon de les juguler et d’éviter qu’elles ne deviennent chroniques est de les traiter en urgence. La prescription de vasodilatateurs est fréquente. Sans que l’on sache expliquer son mode d’action, c’est un des rares traitements qui fait parfois effet.
Les acouphènes chroniques ne sont plus liés à une circonstance particulière, ils se sont “installés” plus ou moins rapidement. Présents de manière continue ou presque, ils perturbent profondément.
Les causes sont presque toujours multiples. Il peut s’agir au départ, comme on l’a vu, d’un bruit fort perçu en période de fatigue ou de choc émotionnel. Mais il est rarement possible -et même dangereux- de ramener les acouphènes à une origine unique.
Le parcours d’un acouphénique est assez typique. Il commence chez le médecin généraliste qui, démuni, l’adresse à l’ORL. Celui-ci réalise un bilan auditif, et fait procéder à des examens complémentaires (analyses de sang, scanner IRM, etc.). La plupart du temps, tous ces examens permettent seulement d’éliminer certaines hypothèses plus ou moins graves (problèmes dentaires, tumoraux, etc.) mais ne révèlent rien d’anormal.
Côté traitements, les médecines alternatives apportent parfois -c’est un constat-, des améliorations plus ou moins durables. En faisant appel à la médecine traditionnelle chinoise (acupuncture et pharmacopée), l’homéopathie, l’ostéopathie, la chiropratique, ou la phytothérapie, certains ont vu leurs acouphènes diminuer, voire disparaître. Mais le résultat tant attendu n’est pas souvent au rendez-vous, les “bruits” lancinants sont toujours présents occasionnant découragement, solitude, dépression…
Gérer les acouphènes
Si aucun traitement médical n’est efficace à lui seul, il existe cependant des moyens de gérer ses acouphènes.
À défaut de pouvoir les traiter radicalement à la source, on cherche à rétablir l’efficacité des filtres qui empêcheront le signal-parasite de devenir perception en atteignant le cortex cérébral. C’est la base de la technique de la TRT (Tinnitus Retraining Therapy: thérapie d’habituation des acouphènes (tinnitus, en anglais).) mise au point par le Pr Jastreboff. Elle consiste à réhabituer le système auditif à considérer les acouphènes comme naturels en reprogrammant les réseaux neuronaux chargés de les détecter.
La TRT associe plusieurs éléments. D’abord des entretiens, indispensables pour expliquer les mécanismes qui conduisent à la formation d’acouphènes. Ils visent à dédramatiser la situation, à sortir de la logique du “Vous devez vivre avec”, et à adopter une attitude positive. S’aider des témoignages d’acouphéniques ayant réussi à maîtriser leur problème, cela incite à s’engager sur la même voie qu’eux. Ils permettent aussi d’insister sur les effets nuisibles des bruits. Prodiguée suffisamment tôt, cette information peut suffire à éviter d’entrer dans la ronde infernale des acouphènes permanents et de pérenniser le problème.
Il sera utile d’associer aux moyens déjà évoqués, l’apprentissage d’une technique de relaxation ayant pour but de diminuer les réactions physiologiques engendrées par l’acouphène. Enfin la dernière étape consiste en une thérapie par le bruit : elle utilise soit des bruits de l’environnement ou l’écoute de musique appropriée, soit des appareils auditifs (ces derniers peuvent être intégrés aux prothèses auditives lorsque les acouphènes sont associés à la malentendance) pour retrouver le plaisir des sons.
Crée en 1992, l’association France Acouphènes a permis à de très nombreux acouphéniques de sortir ou mieux, d’éviter d’entrer dans le cercle infernal. Elle a mis sur pied à travers la France un réseau de délégués qui sont les premiers maillons d’une chaîne d’entraide et de solidarité, en particulier au travers de permanences téléphoniques. Ces personnes expérimentées sont capables de bien conseiller sur les ressources disponibles, et de communiquer les coordonnées de professionnels compétents. Elle se bat pour la prise en compte du problème par le corps médical (souvent fataliste) et les pouvoirs publics… Alors qu’il y a en Grande-Bretagne 200 “Tinnitus Clinic” enseignant la TRT, cette méthode est encore très peu connue en France.
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