Tantra, Tantrisme : une voie à découvrir
” S’abondonnant au flot passionné Montant et griffant, Faisant sourdre un intense plaisir Lacérant leurs corps avec ardeur, Ils mettent fin à l’illusion Dans cette dissolution de la dualité, Par le goût du désir Pendant l’expérience de l’identité, Les amants goûtent à un plaisir Inexprimable et jamais encore touché [...]
" S'abondonnant au flot passionné
Montant et griffant,
Faisant sourdre un intense plaisir
Lacérant leurs corps avec ardeur,
Ils mettent fin à l'illusion
Dans cette dissolution de la dualité,
Par le goût du désir
Pendant l'expérience de l'identité,
Les amants goûtent à un plaisir
Inexprimable et jamais encore touché."
Venu de l’Inde, c’est un art de l’extase amoureuse plutôt qu’un ensemble de techniques pour améliorer les performances sexuelles.
Écrit au huitième siècle, ce poème tantrique du Nord de l’Inde (traduit en français par Daniel Odier) est typique d’une époque où cette philosophie hors normes rayonnait sur ce continent.
Dans le tantrisme, les femmes sont considérées à l’égal de l’homme et même comme ses initiatrices. Ce poème a d’ailleurs été écrit par une femme qui était une yoginî, c’est-à-dire une maître spirituelle. Depuis cette époque, on trouve en Inde de nombreux temples, ornés de multiples sculptures érotiques qu’on ne verrait jamais dans nos églises. Plus étonnant, du nord au sud, un culte est rendu au linga et à la yoni qui représentent les organes génitaux masculins et féminins.
L’érotisme est une composante de l’art et de la spiritualité qui a de quoi fasciner les Occidentaux. À une époque où le sexe s’affiche et se vend dans des conditions inimaginables, sans que les inhibitions sexuelles aient vraiment disparu, la voie proposée par le tantrisme indien semble d’autant plus fascinante que le sexe s’y mêle au sacré. S’inspirant des rites sexuels tantriques, les stages qui se réclament du tantrisme se multiplient chez nous.
Apparences trompeuses
Pourtant, les apparences sont trompeuses. Bien que le culte de divinités féminines soit pratique courante, la société indienne maintient les femmes dans une position de soumission à l’homme. Le pays du Kamâ-sûtra ou ” Traité du plaisir ” reste très puritain et de nombreux Indiens réprouvent sinon la totalité du tantrisme, du moins la ” voie de la main gauche “, c’est-à-dire les rites tantriques sexuels. Dans certains écrits indiens, on trouve des descriptions de techniques sexuelles étonnantes, mais on ne sait jamais si elles doivent être prises à la lettre ou comprises de manière symbolique. Ils ne doivent pas être reçus au premier degré et ne peuvent être compris sans les commentaires traditionnels et la transmission orale.
” Réduire le tantrisme à la sexualité serait une aberration “, met en garde Pierre Feuga, professeur de hatha-yoga, qui après avoir étudié en Inde a écrit un livre particulièrement érudit : Tantrisme : doctrine, art, pratique, rituel (éditions Dangles). Le tantrisme, terme qui signifie doctrine, est l’une des multiples approches philosophiques de l’Inde. ” Mais si j’enseigne, la métaphysique et la cosmologie tantriques, au bout d’un quart d’heure, tout le monde s’endort “, ajoute Pierre Feuga. Cette philosophie a d’ailleurs bien des points communs avec celle d’autres approches, notamment avec le yoga. Il est d’autant plus difficile de la résumer qu’on ne pratique pas le tantrisme de la même manière du sud au nord de l’Inde, qu’il existe une multitude de courants et d’écoles et que le tantrisme hindou n’est pas le tantrisme bouddhique, même si leur parenté est évidente. Leur inspiration commune se traduit par une autre vision du monde, centrée sur le corps et sur l’énergie amoureuse.
La grande figure du tantrisme, c’est le dieu Shiva inséparable de la déesse Shakti (shakti veut dire énergie), à la fois son épouse et sa dimension féminine. Le couple Shiva-Shakti, l’une de ces figures allégoriques dont l’Inde a le secret, représente à la fois l’unité primordiale et la double polarité masculine et féminine. Chacune de ces polarités a de multiples représentations qui peuvent être aussi bien ombre que lumière, création que destruction. Ces images traduisent aussi toute l’énergie du désir et de la passion.
Une approche par le yoga
Toute la force mais aussi toute la difficulté du tantrisme est là. Il propose de se servir des désirs, au lieu de les combattre ou même simplement de vouloir les maîtriser. En ce sens, on peut dire que le tantrisme est le contraire de toute forme de puritanisme. C’est une voie qui ne repose pas sur le contrôle de soi, mais sur la prise de conscience de notre unité fondamentale, unité du corps et de l’esprit, unité avec l’univers. À partir de cette conscience, la pratique du tantrisme a une incidence sur la sexualité, et des techniques spécifiques peuvent être enseignées. Mais ce n’est qu’un aspect secondaire de cette philosophie.
Peut-on vraiment pratiquer le tantrisme en Occident ? C’est sûrement difficile. Les maîtres tantriques, déjà peu nombreux en Inde, sont encore plus rares en Europe, si tant est qu’il en existe. Toutefois la pratique du yoga et de la méditation avec des enseignants formés selon des méthodes traditionnelles peuvent être une première étape dans une autre approche du corps et des émotions et avoir des incidences positives sur la sexualité. C’est tout particulièrement vrai du bouddhisme tibétain.
Le tantrisme est une composante fondamentale du bouddhisme tibétain. Il comprend de nombreuses techniques de méditation, axées notamment sur la visualisation de déités masculines et féminines et l’utilisation des mantras (travail sur le son). L’art tibétain représente couramment ces déités. Pourtant, elles sont considérées plus comme des images, des supports de méditation, que comme des divinités au sens que nous donnons habituellement à ce terme. Système complexe, les méditations tantriques sont enseignées en France dans les centres tibétains, mais cela ne se fait qu’après un parcours préalable sous la direction d’enseignants expérimentés.
Exploration sensorielle et conscience de l’instant
Daniel Odier enseigne le tantrisme hindou à Paris. Dans un livre de feu, Tantra : l’initiation d’un Occidental à l’amour absolu (éd. Lattès), il raconte comment il aurait été initié par une femme, maître tantrique, rencontrée dans les montagnes du Cachemire. Elle le soumet à d’innombrables épreuves, notamment une période de trois jours et trois nuits où il est laissé nu et seul en pleine forêt. Ces épreuves sont un travail sur les émotions, destiné à éveiller les sens, à ” polir l’ego ” et à pacifier le mental, pour arriver au sommet de cette initiation avec ” maïthuna ” : le rituel de l’union sexuelle sacrée. Le récit de cette union avec celle qui est son initiatrice a des accents érotiques qui rappellent le poème cité en entrée. Mais ce récit initiatique a des allures de mythe. Peut-être s’agit-il avant tout d’un récit symbolique, même si des éléments autobiographiques s’y mêlent étroitement. Daniel Odier explique d’ailleurs dans un second livre, Désirs, passions et spiritualité (éd. Lattès), que le rite de ” maïthuna ” n’est pratiqué qu’exceptionnellement et ne peut être utilisé qu’après une longue préparation. Et surtout, précise-t-il, il peut se faire, sans contact génital, par toute forme de relation sensorielle, par la voix, le regard, le toucher.
Malgré l’utilisation d’une symbolique érotique très suggestive, les pratiques tantriques ne peuvent se résumer à la sexualité. Elles sont d’abord un apprentissage de la double polarité masculine et féminine qui nous habite tous, que nous soyons hommes ou femmes. Daniel Odier les présente avant tout comme une exploration sensorielle, destinée à vivre la conscience de l’instant, l’intégration des émotions et de la pensée dans la vie quotidienne. Pour le tantrisme, la recherche effrénée d’une voie qui nous sortirait de nos problèmes est une illusion, seule l’acceptation de notre réalité avec ses ombres et lumières peut nous permettre de vivre en pleine conscience.
C’est dans cette perspective qu’il propose une autre approche de la sexualité, vécue comme une forme de méditation, où chaque partenaire apprend à vivre un sentiment d’unité profonde avec lui-même et avec l’autre. Des techniques spécifiques peuvent être utilisées pour favoriser cette approche : différentes formes de méditation, des massages… La respiration y est centrale et, à travers elle, un relâchement du corps et une prise de conscience des muscles du bas-ventre, du périnée, des organes génitaux. Hommes et femmes sont invités à approfondir l’orgasme, ce qui passe pour les hommes par une découverte de l’orgasme sans éjaculation. Il ne s’agit pas de maîtriser l’éjaculation, mais d’arriver progressivement à l’oublier, insiste Daniel Odier.
L’extase au-delà de la performance
Il met en garde contre les stages qui réduisent le tantrisme à un ensemble de techniques conduisant à l’extase et proposent des danses, massages et techniques énergétiques, agrémentés de différents rituels et d’un discours soi-disant spirituel. Tout cela relève du fantasme, s’il ne s’agit que de rechercher une sexualité plus performante. Si le tantrisme est un art de l’extase amoureuse, c’est toute la vie qui doit devenir une extase et cela par une prise de conscience de l’instant, de notre unité avec le monde, à tout instant et dans toutes les activités de la vie. La recherche de techniques d’extase est à l’opposé du tantrisme que Daniel Odier définit comme ” spontanéité de l’extase “, selon le titre de son dernier livre (éd. Actes Sud).
Mais les intuitions tantriques bien comprises peuvent servir à nourrir la réflexion qui tourne autour du développement personnel, comme l’explique Paule Salomon dans son livre La Brûlante Lumière de l’amour (éd. Albin Michel). Un thème qu’elle reprend dans des séminaires de développement personnel sur la relation de couple et l’exploration des cinq sens.
Régis Pluchet
- Thérapies et Médecines Complémentaires
- Gynécologie & Sexualité
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