Soutenir la parentalité. Revue Hypnose Thérapies Brèves n°66

Soutenir la parentalité. Revue Hypnose Thérapies Brèves n°66 Bertrand HENOT
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BERTRAND HÉNOT: SOLUTIONNISME ET PRATIQUE NARRATIVE DU TÉMOIN INTÉRIEUR

Louis, père « défaillant » à qui on a retiré son enfant, devient une aide pour la formation de professionnels de la protection de l’enfance. Grâce à la pratique du témoin intérieur, et ses jeux de miroirs, il se sent enfin « écouté »... C’est terrible de se voir retirer son enfant, de le savoir placé dans une famille d’accueil, de ne pas être là pour ses premiers pas, ses premières mots. Mais c’est encore pire en tant que parent de se sentir « pas écouté », de tenter d’expliquer qu’on a essayé de jouer son rôle de père et ne pas être entendu !

Ainsi le placement n’est pas seulement un déchirement, c’est aussi la négation de ses compétences de parent et la négation de sa valeur en tant qu’individu. Il ne s’agit pas ici de contester le bienfondé du placement. Que serait devenu Lorenzo, ce petit garçon de 18 mois, si des professionnels vigilants n’étaient pas intervenus à temps ? Comment se serait-il développé si une famille d’accueil ne lui avait pas apporté la sécurité affective dont il avait manqué ? Nous vous proposons plutôt de rechercher comment il est possible de redonner une identité vivante et de l’espoir à un père après qu’il ait « vécu l’enfer » lors de cette réunion et de l’annonce du placement. A ce père, identifié comme défaillant, nous avons demandé de l’aide. Nous lui avons demandé de contribuer à la formation des professionnels du secteur médico-social et de la protection de l’enfance. Il a pu affirmer à quel point il était important pour lui d’aider, de nous aider. Et surtout, il s’est senti « écouté » pour la première fois, depuis le placement.

Quant à nous, Bertrand (formateur et superviseur en pratique narrative) et Anne (la puéricultrice narrative), nous avons à l’occasion de cette expérience eu le sentiment d’être reconnus dans nos intentions, d’expérimenter, d’apprendre, de partager et de donner un nouveau sens à notre travail. La pratique du témoin intérieur (« insider witness ») a été développée en Nouvelle-Zélande par David Epston, coauteur avec Michael White de la thérapie narrative. Cette pratique tient autant du théâtre que de la thérapie, et grâce à la caméra qui filme le portrait, et à celle qui filme le film, elle permet par des jeux de miroirs une mise en abîme où chacun se reconnaît en tant qu’être intentionnel dans le regard de l’autre. Elle permet de se retourner plusieurs fois sur l’expérience et découvrir à chaque fois quelque chose de précieux... Dans l’univers de la protection de l’enfance, depuis la loi de 2007, on ne veut plus que les personnes soient de simples usagers ou de passifs bénéficiaires, on souhaite développer leur pouvoir d’agir (« empowerment ») ; on parle même de leur contribution à la formation des professionnels. En découvrant la pratique du témoin intérieur à la Fabrique narrative à Bordeaux en 2016 avec David Epston, j’ai imaginé comment ce processus pouvait s’inscrire dans cette intention de permettre aux familles de contribuer. Anne participait à un stage d’initiation à l’approche narrative que j’animais pour le CNFPT (l’organisme d’Etat chargé de la formation des fonctionnaires territoriaux). Comme aux autres stagiaires, je lui ai proposé de demander à une personne accompagnée en tant que parent l’autorisation d’utiliser son histoire dans le cadre de la formation. C’est ainsi que Louis, le papa de Lorenzo, a donné son accord à Anne pour qu’elle joue son rôle en formation, qu’elle fasse son portrait. Dans le verbatim qui suit, il y a trois étapes distinctes :
1. Bertrand (superviseur) pose des questions à Anne Lebrun (en tant que puéricultrice) afin de mieux connaître Louis.
2. Bertrand pose des questions à Anne qui se met dans la peau de Louis, et répond aux questions de Bertrand comme si elle était Louis. Ces deux premières étapes sont filmées...
3. Louis, en présence de sa compagne et de Madame Lebrun, regarde le film et fait des commentaires (dans les encadrés).
Dans l’étape 1, les questions orientées solution s’inspirent du modèle « l’information utile » de Insoo Kim Berg. En voici quelques exemples : Qu’est-ce qui s’est passé dans la famille ces derniers temps qui va dans le bon sens ? Si les choses continuent de s’arranger, que pourra-t-on voir dans quelques mois ? Qu’est-ce qui s’est passé d’autre, récemment, qui nous donne l’espoir d’y arriver ?1
Dans l’étape 2, les questions narratives sont centrées sur l’intentionnalité.

Dans l’étape 3, vous lirez dans les encadrés les commentaires de Louis (le vrai), regardant sur sa télé, Anne interprétant son rôle et répondant à mes questions.

- Bertrand : « Bonjour à toi Anne et merci d’avoir accepté de participer à cette expérience, et merci aussi au monsieur... qui s’appelle ?
- Anne : Louis.
- Bertrand : Je suis curieux d’en savoir un peu plus sur les attentes de Louis par rapport à ce que nous allons vivre ce soir. Moi j’espère que ce sera utile pour toi, pour l’accompagner, que ce sera utile pour lui, et puis aussi l’idée c’est que ce soit utile pour les gens qui vont voir, pendant des formations, ce qu’on est en train de filmer...
- Bertrand : Je peux te poser des questions, Anne, pour commencer ?... Depuis que tu connais Louis, qu’est-ce que tu as le plus apprécié chez lui ?
- Anne : Sa convivialité dans la relation en fait.
- Bertrand : Dans la situation qu’il a vécue ces dernier temps, je suppose qu’il y a eu des moments difficiles, est-ce que tu as une idée de ce qui l’a le plus aidé à tenir le coup par rapport à ses difficultés ? Le placement de Lorenzo en famille d’accueil a été décidé il y a quelques semaines. C’est tout ce que je connais des problèmes de Louis. Je n’ai pas besoin d’en savoir davantage pour explorer le « faire face ».
- Anne : Je pense que c’est sans doute son enfant, l’envie de faire bien pour son fils. A mon avis ça l’a beaucoup porté. Et il y a aussi l’envie de réussir sa vie. »


Louis : « C’est sûr que c’est ça, ouais. Ça me fait bizarre de l’entendre, mais c’est ça, oui. C’est surtout Lorenzo qui m’a beaucoup porté et qui m’a fait avancer, clairement ! »


C’est la première intervention de Louis. On est quelques semaines plus tard chez Louis, qui visionne le film avec Madame Le Brun (Anne). On entend leur voix, on ne les voit pas. Le cadrage est serré sur l’écran de la télé.
- Bertrand : « Comment Louis a réussi à percevoir les bonnes intentions des gens qui ont interféré dans sa vie, les professionnelles qui sont venus pour l’aider ?
- Anne : Eh bien je pense qu’il est suffisamment intelligent pour voir que l’intérêt des professionnelles, des gens qui ont voulu l’aider, c’est que son enfant aille bien, grandisse, soit heureux et que lui soit heureux comme père. » La question qui présupposait une collaboration active de Louis était ambitieuse. Et Louis se sent libre de corriger, de donner sa version :


Louis : « Non, en fait ce qui s’est passé c’est que au début, non, je n’étais vraiment pas d’accord pour cet accompagnement là. J’ai mis du temps en fait à m’adapter. Et au fur et à mesure des accompagnements, ça s’est fait, parce que je n’avais pas le choix. Après j’ai fait confiance aux personnes. Me dire que c’était pour lui, que c’était pour nous. »


- Bertrand : « Et de quelle manière jusqu’à présent il a su profiter de cette aide apportée par les professionnelles ?
- Anne : Il a écouté l’avis des professionnelles, il a accepté les propositions qui lui paraissaient adaptées, il a pu dire quand ça ne lui paraissait pas adapté. Il s’est remis en question aussi. Il est toujours dans le dialogue. Il maintient la relation que ce soit difficile ou non à entendre. »


Louis : « Ça me fait bizarre d’entendre ça. Parce que c’est tellement moi ! En fait pour moi le dialogue c’est quelque chose d’important. Dans le sens ou si on ne dialogue pas, on n’avance jamais. Il y a des fois où je n’étais vraiment pas d’accord avec vous. Mais si vous ne dialoguez pas avec les personnes qui sont là pour vous aider, comment voulez-vous avancer ? »


- Bertrand : « Quels sont les progrès les plus significatifs que tu as pu voir ces derniers temps ?
- Anne : C’était hier matin, j’ai participé avec lui à une visite médiatisée, et il a analysé ce qu’il avait vécu depuis que son enfant était placé. Il m’a dit qu’il se rendait compte que son fils avait beaucoup progressé. Il a compris pourquoi. Il a compris que son fils auparavant n’était pas en sécurité affective. Et puis il a aussi trouvé un travail qui lui plaît, il va passer son permis. Et puis il maintient ses projets, il ne perd pas le fil. »

Louis : « Ah ! jamais. Si je commence à perdre le fil, je vais péter un plomb. »


La mission que je me suis donnée pour le moment c’est de recueillir l’information utile (Insoo Kim Berg) : les objectifs que le conseiller et les parents ont défini comme étant valables pour l’enfant, ce qui prouve que la famille dispose des ressources pour y arriver, la capacité de la famille à faire face aux difficultés, les derniers progrès réalisés et les prochaines étapes.
- Bertrand : « Quels sont tes espoirs pour ce papa et pour sa famille ?

 



BERTRAND HÉNOT Dirige l’institut de formation Hexafor à Nantes, qu’il a créé il y a trente ans. Formateur et superviseur, titulaire d’un diplôme universitaire « Théories et cliniques des Psychothérapies », il enseigne les pratiques narratives et l’approche orientée solution à des professionnel.le.s du social dont la mission est de soutenir la parentalité ou d’y suppléer.


Revue Hypnose Thérapies Brèves 66Commander la Revue Hypnose & Thérapies Brèves n°66

N°66 : Aout / Septembre / Octobre 2022

Dans ce n°66, nous verrons comment aider les personnes qui nous consultent à sortir des effets des histoires dissociatives dans lesquels elles sont enfermées. Le questionnement développé dans les thérapies brèves est une aide essentielle pour rendre possible l’activation des processus de réassociation.

Edito:
Julien Betbèze : Approche stratégique et acceptation de la solitude
Alain Vallée développe un exemple clinique nous montrant comment la conversation d’engagement ouvre de nouvelles possibilités d’agir chez un sujet présentant un diabète de type 2 et qui ne parvenait pas jusque-là, malgré les risques somatiques, à modifier sa relation à l’alimentation.

Spécialiste mondialement connu de l’approche stratégique, Giorgio Nardone explique l’importance de différencier trois manifestations différentes de la solitude. Il enseigne comment apprendre à être avec les autres, et le chemin vers l’acceptation de la solitude, acceptation nécessaire pour faire vivre une relation.

Véronique Cohier-Rahban poursuit sa réflexion sur la prise en charge des enfants soumis aux effets des violences intergénérationnelles. Elle nous montre comment Armel, enfermé dans le rôle « d’enfant problème », va se libérer de son rôle sacrificiel par le questionnement circulaire et la mise en place de relations de coopération dans la famille.

A travers le cas de Marthe, enfermée dans son monde de détresse et d’inquiétude, Arnaud Zeman décrit comment le thérapeute, en se mettant en lien avec ses ressources relationnelles, accueille ses ressentis corporels et ses affects pour construire un accordage avec un sujet prisonnier de son vécu dissociatif. Cet accordage est le premier pas vers un nouveau positionnement rendant possible le changement.

Le dossier thématique sur le lien thérapeutique se poursuit avec Karine Ficini qui nous fait part de l’histoire de Daniel, orphelin à l’âge de 4 ans, et dont les étapes de vie sont marquées par le pouvoir du monde abandonnique. Avec l’utilisation des mouvements alternatifs et de questions centrées sur la traduction corporelle de la confiance en soi, elle tisse un nouveau lien humain qui génère une nouvelle action signifiante pour le sujet.

Bertrand Hénot utilise le questionnement narratif et solutionniste pour aider Louis à modifier son regard sur les services sociaux et sur lui-même, afin de réinvestir son rôle de père et se mettre en chemin pour retrouver la garde de son fils.

Dans l’espace « Douleur Douceur », Gérard Ostermann nous présente trois articles sur l’apport de l’hypnose en gériatrie.

Sarah Muller, dans son article sur les conversations hypnotiques en psychogériatrie, nous raconte comment Mme D. qui présente un diagnostic de Démence fronto-temporal, intègre l’Ehpad à 92 ans, suite à une chute, et va bénéficier d’un accompagnement complet à la toilette, effectuée au lit.

Véronique Treussier-Ravaud expose le cas clinique de Mme L.F. patiente âgée qui souffre de troubles cognitifs sévères. Une séance d’hypnose pendant sa toilette, avec ancrage musical et techniques apaisantes, a pour bout de la réinstaller dans un état de bien-être.

Blandine Rossi-Bouchet, orthophoniste, nous explique comment elle utilise l’hypnose dans sa pratique quotidienne auprès des personnes âgées.

Dans la chronique « Bonjour et après », vous trouverez les premières consultations d’Elisabeth qui noie son ennui dans l’alcool. Sophie Cohen utilise le questionnement stratégique et l’hypnose pour aider la patiente à quitter ses tentatives de solution.

Enfin, Nicolas D’Inca nous livre un article passionnant sur le chamanisme et les animaux de pouvoir pour retrouver les liens au monde vivant.

Crédit photo Jean-Michel HERIN

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