Autohypnose du coureur de fond.
Sport et créativité. Revue Hypnose et Thérapies Brèves 71.
COURIR, RÉPÉTER, DISSOCIER
La neurologie nous apprend que les frayages neuronaux, synaptiques, sont le fait des premières impressions-perceptions du bébé et qu’à force de répéter des actions, des perceptions, puis des apprentissages, des circuits neuronaux spécifiques se constituent et se mobilisent automatiquement (par exemple, pour tout ce qui relève de la mémoire procédurale). On peut faire une analogie avec la course à pied : le rythme d’une certaine foulée identique à elle-même, coordonné au rythme du souffle crée une sorte d’automaticité du corps, résultat d’un rythme répétitif.
Les coureurs chevronnés parlent de « dieselisation » (du mot « diesel ») quand ils évoquent une phase où le coureur stagne à une certaine vitesse et n’évolue plus. Le corps court « de lui-même », toujours à la même vitesse. Les coureurs qui cherchent à améliorer leur performance font en sorte de se « dédieseliser ». Ici, au contraire, nous ne cherchons pas l’amélioration de la performance physique, mais l’approfondissement d’une transe auto-induite par la course « dieselisée ».
En effet, cette automaticité du corps qui court « tout seul », toujours au même rythme, permet une dissociation intéressante : durant ce temps, notre conscience, moins attentive au corps qui court par lui- même, pourra laisser libre cours à la création spontanée d’autres ponts neuronaux, d’autres frayages synaptiques, d’autres « correspondances » inédites entre différents circuits, c’est-à-dire entre différentes pensées, idées, images ou souvenirs. C’est la 4e et dernière étape d’un processus facile à mettre en œuvre que je vous propose : une autohypnose de footing pour stimuler sa créativité.
ETAPE 1 : LE SCAN CORPOREL (1)
Il s’agit de commencer par amener à sa conscience toute la sensorialité de son corps en train de courir. Se rendre attentif aux sensations corporelles en commençant par le bas jusqu’en haut : les pieds (appui, déroulé du pied, articulation de la cheville, sensations du poids du corps et sa répartition sur les appuis), les genoux (articulation), les hanches (mouvement), les épaules, les bras (mouvement de balancier), les mains, le dodelinement de la tête. Il s’agit d’être égale- ment attentif à la coordination de tous ces mouvements entre eux. Ce balayage sensoriel conscientisé, vous l’aurez reconnu, est un scan corporel. Il convient ensuite d’orienter son attention sur le souffle (rythme et longueur des alternances inspiration/expiration).
Enfin, vous pouvez lier les deux : porter attention aux sensations corporelles et attention au souffle, en se centrant sur la coordination rythmique entre les deux (longueur de foulée/respiration ou mouvements de balancier des bras/respiration). L’important, ici, est de parvenir à se caler dans un même rythme régulier (foulée/autres mouvements du corps/respiration). Je vous conseille de répéter cette étape autant de fois qu’il est nécessaire tant que cette conscience du scan corporel et de sa synchronisation rythmique n’est pas au point. C’est un très bon exercice pour induire l’autohypnose nécessaire à la suite.
ETAPE 2 : LE COULOIR SENSORIEL
Une fois que l’on est bien synchronisé au niveau de son corps et de son souffle, il s’agit de porter notre attention sur le monde extérieur (que l’on n’a heureuse- ment jamais perdu de vue !). Je vous pro- pose alors de visualiser un couloir de course dans lequel vous courez et autour duquel le paysage (donc, à l’extérieur du couloir) est réduit à deux dimensions, comme des façades en trompe-l’œil, sans rien derrière (2). Ainsi vous courez dans un couloir dans lequel le paysage et les objets qu’il contient (personnes, animaux, etc.) n’ont pas de dedans, pas d’intériorité. Pourquoi ? Cela évite à nos mouvements psychiques projectifs, conscients ou inconscients, imaginaires ou fantasma- tiques, d’investir des objets externes qui pourraient nous distraire. Et cela permet de ne compter que sur nos propres ressources internes, sur nos seules représentations qui proviennent des sensations corporelles du corps en mouvement : musicalité ou rythmicité du corps (évidemment, casque audio à bannir). Il y a également la possibilité de s’aider visuellement d’un point d’accroche que l’on va chercher loin devant soi dans le couloir sensoriel. Ce point d’accroche « tire » le coureur vers lui (on ne « cherche » pas à l’atteindre) : la vision est concentrée et projetée uniquement en un point, au dehors, à l’extérieur de nous (ce point va évidemment changer de position en fonction du parcours).
Cette projection est projection d’une force motrice, source d’un moteur extérieur qui nous tire vers lui, comme un tire-fesse. Avec une bonne conscience de son moi corporel (étape 1), on peut relier ce point d’accroche visuel, loin devant nous, à un point d’accroche à l’intérieur de notre corps, situé au niveau de l’os sacrum, dans l’hypogastre. Plus concrètement : à deux doigts au-dessous du nombril (3 cm) et à peu près 6 centimètres à l’intérieur de l’abdomen. La médecine traditionnelle chinoise l’appelle le « Dan Tien Inférieur » ou « D??ntián inférieur » (3), qui a une grande importance énergétique. Tant que cette conscience du couloir sensoriel n’est pas acquise, répéter les deux premières étapes.
ETAPE 3 : LAISSER FILER LES PENSÉES
Lorsque l’état autohypnotique est atteint grâce à l’intériorité et à l’extériorité de son corps (dans l’environnement), alors nous pouvons laisser émerger des bribes de pensées, de souvenirs, d’idées, d’images, etc. Mais on ne retient rien. On laisse dé- filer ces bouts de représentations mentales, comme des nuages dans un ciel. Ne rien fixer, ne rien déduire, ne rien induire, ne pas construire, ne pas chercher à comprendre, ne pas faire de liens. Laisser le ciel redevenir sans nuages (fluidité de la pensée), le vent de la course y contribue ! Repasser autant de fois qu’il est nécessaire par ces trois étapes pour atteindre une plus grande vacance de la pensée. Rendre son esprit disponible demande avant tout d’évacuer tout ce qu’il contient en début de course (jusqu’au « second souffle », a minima) (4).
Si toutefois le coureur est pris dans des ruminations, c’est-à-dire obsédé par des idées fixes, sortes de cristallisations ou crampes mentales, alors augmenter le rythme de la course, soit en allongeant la foulée, soit en faisant plus de foulées. Les sensations corporelles reprendront alors toute leur place (étape 1).
ETAPE 4: LA CRÉATIVITÉ DE L’AUTO-HYPNOSE
NICOLAS FERRIER
Psychologue clinicien, libéral. Coureur de fond du dimanche (ex-marathonien du dimanche). Formé (entre autres) au DU Hypnose médicale à la Faculté de médecine La Timone (Marseille). Superviseur en établissement médico-social. Accompagnement psychologique des étudiants au centre Isidore-Ducasse (Marseille, ouverture 2023) Souffle et foulée rythmés à l’unisson sur le macadam, une sente de montagne, un chemin de campagne... Ou comment atteindre, en quatre étapes, l’état de créativité de l’autohypnose en courant.
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