Il est urgent de structurer les médecines complémentaires et alternatives
Journal Le Monde du 13 Mars 2021.
TRIBUNE
Dans une tribune au « Monde », un collectif de parlementaires, d’anciens ministres, d’universitaires et de médecins appelle à la création d’une agence gouvernementale des médecines complémentaires et alternatives, afin d’en assurer le développement, mais aussi de contrôler les dérives thérapeutiques.
Tribune. La santé de demain intégrera toujours plus les médecines complémentaires. Plus de 68 % des Français croient aux bienfaits des médecines complémentaires et alternatives (MCA) : leur pratique est donc loin d’être marginale ! L’Organisation mondiale de la santé (OMS) dénombre quatre cents MCA et encourage leur intégration pour soutenir la prévention, la qualité de vie et le bien vieillir. Mais le champ des MCA rassemble indistinctement des méthodes validées et sécurisées, insuffisamment éprouvées ou douteuses, voire dangereuses.
L’enjeu de santé publique est donc de favoriser l’essor des pratiques bénéfiques, tout en luttant contre les dérives en santé. Face à l’engouement pour ces pratiques et à leur prolifération incontrôlée, l’enjeu est aussi d’asseoir les médecines complémentaires adaptées et de lutter contre les méthodes alternatives.
En France, certaines pratiques sont légalisées (acupuncture, ostéopathie, chiropraxie, homéopathie). D’autres, comme la sophrologie, l’hypnose, l’art-thérapie, sont déployées dans les hôpitaux, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et par les associations nationales (Ligue contre le cancer, France Alzheimer…). Un rapport de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP, 2012) a montré que l’hôpital public s’est, lui aussi, largement ouvert à certaines MCA.
Une agence des MCA (A-MCA), réunissant plus de quatre-vingts experts, des chercheurs, médecins, élus, anciens ministres, hauts dirigeants, mais aussi des patients et des soignants, a été créée pour contribuer à structurer ce champ. Soutenue par près de trente partenaires (Fondation de l’Académiede médecine, universités, France Alzheimer, etc.), l’A-MCA fédère l’écosystème en la matière.
Enseignement et formation
Elle vise à informer, conseiller, guider sur ces pratiques tout en développant la recherche dans le domaine. Il s’agit de consolider les connaissances sur ces pratiques, leurs e#ets et leur niveau d’efficacité. L’Agence entend aussi lutter contre les dérives en santé, en particulier les dérives thérapeutiques non sectaires, volontaires ou non, et dont les conséquences peuvent, elles aussi, être dramatiques.
La pratique des MCA ouvre à des risques de dérives thérapeutiques, tandis que les patients cachent souvent leurs usages à leurs médecins, et parfois même, abandonnent leurs traitements vitaux
L’A-MCA a également pour but d’aider à organiser l’enseignement et la formation des pratiques validées et de soutenir, sur le terrain, leur mise en œuvre, de façon cohérente, structurée et sécurisée. C’est dans ce cadre qu’elle accompagne différents acteurs (par exemple des groupes d’Ehpad). Si beaucoup de ces pratiques sont devenues incontournables, elles manquent paradoxalement d’encadrement, rendant l’offre peu lisible pour les patients et les confrontant à des risques.
En effet, la pratique des MCA ouvre à des risques de dérives thérapeutiques, tandis que les patients cachent souvent leurs usages à leurs médecins, et parfois même, abandonnent leurs traitements vitaux. Peu connues du grand public, les « dérives thérapeutiques » représentent un danger qu’il importe d’étudier et de prévenir en complément de l’action essentielle de la Miviludes centrée sur les dérives sectaires. Sectaires, ou non, les conséquences de ces dérives en santé peuvent être dramatiques.
Un colloque organisé par l’A-MCA, avec le soutien de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), et parrainé par la députée Laurence Vanceunebrock, s’est tenu le 22 février, avec plus de trois cents participants pour évoquer et alerter sur les dérives en santé (méthode Hamer, abus de faiblesse, thérapies de conversion, certificats de virginité…) et ouvrir des pistes de solutions.
En conclusion de ce colloque, la députée et pharmacienne Agnès Firmin Le Bodo, a appelé à renforcer l’action de l’A-MCA tout en encourageant la réunion vertueuse en son sein, des expertises (scientifiques, médicales, politiques, de terrain…) transdisciplinaires et transpartisanes.
Une double perspective
Cet engouement pour les médecines complémentaires concerne aussi des pratiques adaptées pour s’intégrer dans un circuit vertueux de prévention (hypnose, méditation, art-thérapie, etc.). Au risque parfois d’une automédication pouvant retarder les consultations médicales.
De nombreuses recherches montrent que certaines pratiques présentent des avantages évidents en termes de prévention, de mieux-être et de qualité de vie. Nous rejoignons donc la position de l’Académie de médecine selon laquelle l’intégration de certaines MCA présente un intérêt si elle permet « de préciser leurs effets, de clarifier leurs indications et d’établir de bonnes règles pour leur utilisation ».
Parce qu’il devient urgent de structurer ce champ et d’avertir nos concitoyens tant sur les indications que sur les risques de ces pratiques, nous appelons au développement d’une initiative constructive autour de la question. Il s’agit donc de débroussailler et d’aider à la structuration des MCA en apportant un cadre à des pratiques aux effets réels pour certaines, ou relevant, au contraire pour d’autres, de charlatanisme.
Une telle dynamique implique de s’inscrire dans une double perspective, d’intégration sécurisée de pratiques complémentaires adaptées et de lutte contre toutes les formes de dérives et d’approches alternatives.
Les signataires appellent à la transformation de l’A-MCA en agence gouvernementale, capable de piloter la réflexion sur les enjeux des médecines complémentaires et alternatives, de lutter contre les dérives thérapeutiques et de favoriser la mobilisation des pratiques reconnues au service de la prévention, de la santé et de la qualité de vie des citoyens. Une résolution sera portée en ce sens à l’Assemblée nationale dans les meilleurs délais. La création de cette agence serait un acte fondateur pour inventer la médecine de demain au sens d’une articulation efficiente du « cure » (soin) et du « care » (prendre soin).
Liste des signataires : Gilles Berrut, professeur en médecine, président Gérontopôle Pays de la Loire ; Antoine Bioy, professeur en psychologie, université Paris-VIII, conseiller scientifique à l’Unesco et responsable scientifique de l’agence des médecines complémentaires et alternatives (A-MCA) ; Alain Blanchet, professeur émérite en psychologie, président de l’Ecole des psychologues praticiens ; Denis Bernard, président de l’Union francophone des patients partenaires ; Philippe Denormandie, chirurgien et auteur de rapports ministériels portant sur le handicap ; Jeanine Dubié, députée (Liberté et Territoires) ; Valérie Egloff, conseillère régionale Normandie, présidente du Gérontopôle Normandie et infirmière ; Myriam El Khomri, ancienne ministre du travail ; Olivier Falorni, député (Liberté et Territoires) ; Agnès Firmin Le Bodo, députée (AGIR) et pharmacienne ; Jean Gatel, ancien ministre de l’économie sociale et solidaire ; Serge Guérin, professeur Inseec U. et sociologue, directeur scientifique du pôle santé Inseec Msc & MBA et président de l’A-MCA ; Joël Jaouen, président de France Alzheimer ; François-Michel Lambert, député (Liberté Ecologie Fraternité) ; Gaël Le Bohec, député (LRM) ; Julien Nizard, professeur en médecine et chef du centre fédératif douleur, soins palliatifs et de support, CHU de Nantes ; Véronique Suissa, docteur en psychologie clinique et directrice générale de l’A-MCA ; Alain Tolédano, médecin, Directeur médical de l’Institut Hartman et président de l’Institut Rafaël ; Thierry Troussier, professeur en médecine, responsable chaire Unesco Santé sexuelle & Droits humains ; Laurence Vanceunebrock, députée (LRM) ; Richard Villet, professeur en médecine, secrétaire général de la Fondation de l’Académie de médecine.
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