Interview de Thierry Janssen au sujet de son nouveau livre : Défi Positif
Suite à l'interview précédent sur les trois ingrédients du bonheur, l'auteur nous explique que ceux-ci sont indissociables, mais avec le primat du besoin de sens. Ensuite, il nous parle de l'importance d'intégrer les études scientifiques aux discours philosophiques, spirituels voire traditionnels, comme dans ses trois derniers livres, et de l'épistémologie scientifique appliquée aux sciences humaines et, en particulier à l'étude des effets de la méditation.
Alain Gourhant : Nous avons parlé dans l'interview précédent des trois grandes voies qui mènent au bonheur : le plaisir, l'engagement et le sens. Y en a-t-il une qui est plus importante que les autres ?
Thierry Janssen : Le besoin de plaisir et le besoin de sens sont deux besoins fondamentaux pour l'être humain. Le plaisir motive nos comportements.
Ce n’est pas sans raison que manger, nous reproduire ou créer du lien nous procure un plaisir important ; ces comportements sont absolument vitaux, indispensables pour notre survie. Il paraît donc absurde de diaboliser le plaisir.
Le sens est lui aussi très important pour survivre. Car l’animal pensant que nous sommes doit pouvoir attribuer une signification à ce qu’il expérimente et décider d’une direction pour ce qu’il souhaite vivre. Sans cette capacité à donner un sens à notre existence, nous serions anéantis par un sentiment d’absurdité et d’impuissance qui créerait un stress incompatible avec notre survie.
Remarquons que notre besoin de plaisir et notre besoin de sens ne se conjuguent pas aux même temps : le besoin de plaisir demande une réponse immédiate, le besoin de sens accepte d’être comblé d’une manière différée. C'est parce que certaines choses nous paraissent avoir du sens à long terme, que nous pouvons accepter certains déplaisirs dans l’instant. « Celui qui a un pourquoi qui lui tient lieu de but peut vivre avec n’importe quel comment », écrivait Nietzsche. Aussi, quand vous me demandez s'il y a une voie du bonheur plus importante que les autres, je vous réponds que les trois voies qui apparaissent dans les enquêtes psychologiques paraissent indissociables. Le bonheur pourrait être défini comme « la sensation globale de plaisir chargé de sens », a résumé le professeur de philosophie Tal Ben-Shahar. Cependant, les enquêtes révèlent aussi que plus on avance en âge, plus le besoin de sens prend de la place. Cela se comprend aisément car, avec le temps, nous avons le recul nécessaire pour donner une signification et une direction à notre vie ; cela nous paraît d’autant plus important que de manière concomitante, nous sommes confrontés à de plus en plus de frustrations, des renoncements, des deuils, des limitations, des handicaps et du déplaisir.
Il revient donc à chacun d’inventer le sens de son existence.
"Les trois voies du bonheur paraissent indissociables"
En effet. C’est en tout cas ce que nous ont proposé les philosophes existentialistes en réponse aux horreurs de la seconde guerre mondiale, alors que Nietzsche avait déclaré la mort de Dieu dans son Gai Savoir.
« L’existence précède l’essence », affirmaient les existentialistes. « L’existentialisme est un humanisme », ajoutait Sartre. Il s’agit donc de rendre à chaque individu la responsabilité de répondre aux circonstances de sa propre existence. Non pas pour définir le sens de la vie en général – ce que les religions ont tenté de faire – mais plutôt pour s’interroger de manière individuelle et choisir le sens que l’on donne, chacun à sa propre vie.
Pourtant la question du sens semble peut importante dans nos sociétés contemporaines ?
C’est vrai, nous innovons, nous produisons, nous consommons sans trop nous interroger sur ce que nous voulons vraiment, sur la direction à prendre, le but à atteindre. Nous jouissons. En ce sens, nous privilégions notre besoin de plaisir. Et nous vivons un véritable déficit de sens. Dans mon ouvrage La maladie a-t-elle un sens ?, je montre comment ce déficit finit par créer des maladies, à l’échelle individuelle et au niveau collectif.
Quel sens devrions-nous privilégier ?
Je ne pense pas qu’il faille privilégier un sens en particulier. Comme je l’ai écrit dans mon Défi positif, le bonheur et la quête de sens qui l’accompagne ne tolèrent aucune dictature, pas plus celle des philosophes que celle des politiciens. Toutefois, lorsque l’on examine les résultats de grandes enquêtes effectuées auprès de populations de cultures très diverses, on s’aperçoit qu’il existe trois grands moyens pour donner un sens à sa vie : être en relation avec les autres et par extension avec l’environnement dans lequel on vit, définir ses valeurs et, le plus important, agir en fonction de ces valeurs en exprimant le meilleur de soi. D’autres enquêtes révèlent que les valeurs des êtres humains sont les mêmes, quelle que soit leur culture. Et, fait tout à fait intéressant, la hiérarchie de ces valeurs est assez identique dans toutes les populations ; les valeurs bénéfiques pour la survie de la collectivité – par exemple la bonté et l’altruisme – étant privilégiées par rapport à des valeurs – comme l’ambition – qui pourraient nuire à l’intérêt collectif. Je consacre un chapitre entier aux forces que nous avons en nous pour actualiser nos valeurs à travers nos actions.
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