Ecrire...Et le miracle a eu lieu.

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Véronique DASLE pour la revue hypnose et thérapies brèves 72.


Ecrire, faire ce pas de côté qui nous permet d’entrer en résonance. De faire surgir à travers les mots les sensations, les émotions... à la manière d’une séance d’hypnose.
Comment la rencontre sur des accords de bossa nova reconnecte aux ressources enfouies. Comment la marche nourrit la pensée accordée au rythme des pas et à la beauté de la nature. Comment la main dans un geste dicté par la pensée donne chair par un acte moteur aux sensations et vie aux sentiments au travers d’un récit.


L’écriture est une expérience incroyable, qui nous plonge dans cet état second, où la réalité devient moins importante que cette forme de rêve qui prend vie sous notre plume. Et c’est pour cela qu’il est essentiel de laisser courir mon crayon sur le papier, comme une écriture automatique, un flux ininterrompu. Il paraît difficile de retrouver cette connexion entre la pensée et le clavier : il y manque la trace que l’inconscient imprime sur le papier. Le son et le geste haché et mécanique ne peuvent rivaliser avec le trait fluide des lettres comme volutes de pensées libérées prêtes à s’élever à chaque bouffée d’inspiration.


 En cela, écrire est un acte thérapeutique, un acte qui interroge l’identité quand le personnage est décliné à la troisième personne, et qui permet une forme de double dissociation. Le dispositif de double dissociation mis en place par Philippe Villien (1) permettait de revoir le souvenir traumatique non plus en le vivant comme acteur mais comme spectateur, avec la même distance que lorsqu’on regarde un film au cinéma, l’événement ainsi abordé évitant l’envahissement émotionnel et sollicitant les ressources du patient.


Ainsi, par l’écriture, en adoptant la troisième personne, cet effet de double dissociation invite à observer les différents états d’une lente renaissance, et le commencement de l’acceptation. A l’extrême, lorsque l’auteur choisit un pseudonyme pour présenter son œuvre, le voici écartelé entre deux moi, cheminant dans une double vie. Telle une statue modelée sous les mains du sculpteur, la réalité vécue devient une autre réalité tout au long du travail d’écriture qui prend forme. Les pages refermées, il est douloureux de quitter l’histoire, un deuil est à entreprendre. Donner à lire le récit est une souffrance, comme si l’on venait de mettre au monde son enfant. Ne plus le porter à l’intérieur de son ventre génère un vide. Il faudra bien accepter la séparation. C’est un moment qui nous plonge dans une forme d’angoisse. Puis arrive la peur réelle de ne pas être compris, reconnu. Il est trop tard, la bouteille a été jetée à la mer.
Après les nombreuses relectures, on a cru le texte achevé, et au moment de l’envoyer on s’aperçoit qu’il contient encore beaucoup d’erreurs, d’incohérences, c’est un travail sans fin. Puis il ne reste plus qu’à attendre les retours, de longues journées, de longues semaines tenaillé par les doutes. Ayant pris de la distance, vient un temps où l’on se penche à nouveau sur le manuscrit, on se demande alors si c’est nous qui avons écrit, pensé, imaginé, et comment avons-nous fait ? Ecrire est un miracle qui apparaît entre un acte de pensée empruntant le chemin des émotions et un acte moteur ; entre l’esprit, le cœur et la main. Annie Ernaux (2) décrit ainsi son mode d’appréhension de l’écriture : « Que mon corps, mes sensations et mes pensées deviennent de l’écriture... c’est-à-dire quelque chose d’intelligible et de général, mon existence complètement dissoute dans la tête et la vie des autres. » Et j’ajouterais l’essentiel pour moi : que ma douleur devienne de l’écriture pour la dissoudre complètement, et ne garder que la lumière.


En me renvoyant mon manuscrit, un de mes correcteurs m’avoua la nécessité de vite s’en débarrasser : « comme si le poids était trop lourd... comme si un travail avait dû se faire et une fois avoir exploré toutes les zones sombres projetées, passer à autre chose était vital, au risque d’être emporté dans une danse hypnotique ». Le roman évoque la survenue d’un accident de la route ayant interrompu, puis transformé, un chemin de vie. Il fallait continuer à vivre, mais comment après avoir vu la mort en face ? A la faveur d’une période d’éloignement pour recevoir des soins, l’occasion se présenta de faire un pas de côté pour exister à nouveau... En voici des extraits remaniés et des passages concernant l’écriture, que je n’ai pas conservés dans le récit :


« La rencontre avec un lieu et un être bienveillant l’aida à entrer dans la résonance et à retrouver un élan vital. En ouvrant les yeux sur la beauté éclatante qui s’offrait à ses yeux... et les doux parfums qui parvenaient à ses narines... En portant attention sur les sons sortis de la guitare caressant ses oreilles, et découvrant un sourire sur les traits de cet ami bienveillant, elle revivait et se remettait en mouvement, l’envie était de nouveau là... Son corps se redressait peu à peu, elle découvrait le plaisir de la marche en montagne, son cœur se remettait à pulser au rythme de la vie et son âme enchantée s’ouvrait aux rencontres... Quand elle rentra chez elle, une autre était née, qui n’aspirait qu’à retrouver cet endroit où elle avait retrouvé la force... Pour ne pas sombrer à nouveau, elle avait rendez-vous chaque jour avec ce lieu en pensée, puis comme un besoin vital, elle se mit à écrire les émotions qu’il suscitait. Elle voulait comprendre et entra dans une quête qui la maintint vivante et dura jusqu’à ce qu’elle referme les pages... Chaque matin, des mots la réveillaient, des phrases la ravissaient, elle restait plusieurs heures à laisser son crayon vagabonder dans un cahier, qui se couvrait de chapitres à un rythme étonnant. C’était comme une écriture fluide qui s’écoulait ainsi chaque jour, sa main courait sur les feuilles et noircissait les pages de son crayon de papier. Le rythme et les sonorités la berçaient et l’apaisaient. Les images des bonheurs vécus là-bas lui dessinaient un sourire aux lèvres. Très vite ce rendez-vous devint une priorité dans sa vie, une nécessité, le seul moyen pour se relever. Elle écrivait, et lui parvenaient toutes ces émotions qui l’avaient envahie. Toutes les sensations perçues là-bas au contact des éléments refaisaient surface, et son cœur battait à nouveau, son corps se déployait et son âme chantait. Elle avait enfin perçu le sens de sa nouvelle existence qui lui donnait des raisons de poursuivre. Les mots jaillissaient, et s’agençaient d’eux-mêmes. Sans besoin de temps de réflexion, ils s’imposaient comme les images, les sons et les odeurs qui persistaient longtemps encore et la plongeaient dans une autre dimension. Car c’était bien de cela qu’il s’agissait. Elle avait accès à ses ressources par ce moyen, et pouvait ainsi se connecter aux valeurs qui allaient la porter pour l’aider à s’envoler enfin. De cet événement dramatique elle avait tiré une opportunité de changement, elle le recevait à présent comme un précieux cadeau. Elle avait expérimenté ce que Hartmut Rosa (3) appelle la résonance. »


« Etre en résonance c’est se sentir touché, bouleversé ou affecté, par autrui, un morceau de musique, le travail que nous faisons, un paysage, une idée ou un coucher de soleil, etc. » Le philosophe décrit les quatre éléments de la résonance, dont le premier, l’affection étant ce sentiment d’être interpellé. Le deuxième est l’auto-efficacité : la capacité de répondre à l’appel et d’aller à la rencontre de l’autre, pour ne pas rester passif, car être touché signifie changer d’état, se transformer – troisième caractéristique de la résonance. Enfin, comme il n’y a jamais de garantie d’entrer en résonance de manière efficace avec quelqu’un, un morceau de musique ou une idée, l’imprévisibilité est la quatrième fonction de la résonance. Cette imprédictibilité est d’ailleurs son aspect le plus intéressant. La recherche de résonance est l’exact contraire du besoin et du désir des temps modernes d’optimiser, de dominer et de contrôler. Pour Hartmut Rosa …

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Revue Hypnose Thérapies Brèves 72 


VÉRONIQUE DASLE 
Infirmière sensibilisée à la prise en charge de la douleur du patient. Exerçant en milieu scolaire, confrontée à la souffrance des enfants et adolescents, formation de Master Recherche mention Psychologie parcours psychologie du développement à l’université de Nancy 2, dirigé par Benoît Schneider. Devenue psychologue, spécialisée en psychologie du développement de l’enfant. Installée actuellement en libéral auprès d’adultes.

Auteure de Blessures de tennis. Parallèle avec la maladie en psychologie de la santé. Pour le Hors-Série 12 de la Revue Hypnose et Thérapies Brèves.

 

Crédit Photo © Cerdà

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